Française et musulmane, j’ai peur.

Je ne voulais pas écrire à ce sujet. Comment trouver les mots justes face à l’horreur ? Comment parler de ma peur, ma peine, ma douleur face à ceux qui ont perdu un proche, à ceux qui ont perdu la vie ? Je n’avais pas envie d’ajouter plus de tristesse à ce malheur. J’avais envie de lire des choses positives, d’en écrire aussi. Mais depuis trois jours, impossible de reprendre une vie “normal”, impossible de ne pas y penser. J’ai trop mal. J’ai trop peur.

Je suis française et musulmane et depuis vendredi, cela ressemble à une double peine. J’ai vécu la soirée du vendredi 13 avec horreur. J’ai passé une partie de la nuit les yeux rivés sur les chaînes d’info et sur les réseaux sociaux, apprenant avec effroi la première fusillade, puis la deuxième, les explosions, la prise d’otage, retenant mon souffle à chaque annonce de décès, priant pour qu’il s’agisse d’une “simple” règlement de compte plutôt que d’un acte terroriste, priant pour que la France ne revivent pas un second 7 janvier. C’était différent. Ce n’est pas la liberté d’expression, les caricatures, tel ou tel dessinateur mais TOUS les français qui étaient la cible. Des actes terroristes ne peuvent pas être comparé entre eux et je ne trouve aucune comparaison possible entre ceux du 7 janvier et ceux du 13 novembre. Après les attentats de Charlie Hebdo, j’étais horrifié, depuis vendredi, j’ai peur.

J’ai peur parce que je ne suis pas à l’abri d’un acte terroriste pendant que je fais mon shopping, pendant ma promenade, pendant que je prends un café avec des copines ou que je vais au resto avec mon mari. J’ai peur pour ma famille, mes amies. J’ai ce besoin d’être rassurée tout le temps, de savoir où ils sont, ce qu’ils font. Cette peur que je partage avec beaucoup de français.

Mais je suis aussi musulmane (et voilée en plus !) et pour certains cela fait de moi une cible parfaite, une coupable idéale, la cause de leur souffrance, de leur deuil, de la perte d’un être proche peut-être, la cause de leur peur aussi. La peine, la douleur, la peur réveille parfois la pire partie de nous-mêmes, celle capable d’haïr l’autre, de le rejeter, de lui faire du mal. Aujourd’hui, dans mon propre pays, j’ai l’impression d’être cet autre. Cette sensation, je l’avais déjà ressenti au lendemain de Charlie Hebdo mais je pensais ne plus jamais la revivre. Alors, tout le long de cette soirée du vendredi 13 novembre, j’ai espéré que l’Islam ne soit pas associé à ce massacre qui grossissait. Et pourtant ce fut le cas.

https://www.youtube.com/watch?v=sFJQplG5SeI

Depuis, j’ai peur de sortir. Peur que la colère de certains se transforme en violence. J’ai peur d’affronter les regards méfiants et accusateurs des gens. Les mêmes que j’avais croisé après l’attentat de Charlie Hebdo. J’ai peur de n’être qu’une cible vivante. Peur des insultes. Mais surtout peur de ce sentiment de rejet de la part de mes compatriotes, de la part de mon pays.

Pourtant, je comprends la confusion des gens, je suis prête à parler, à expliquer, à crier que chaque atome de mon corps condamne cet acte plein d’horreur. J’ai envie de montrer aux gens les paroles du Coran, les valeurs de ma religion, l’amour qui y est prôné, la paix, le partage, toutes ces belles choses qu’on ne voit pas.

Repousse la mauvaiseté par ce qui est meilleur. Sourate 23, verset 96.

Au delà des morts et de la terreur qu’ils ont installé, je me dis que si j’ai peur, c’est que les auteurs des attentats ont une bien plus grande réussite à leur actif, celle de nous avoir divisé. Ne leur offrons pas cette victoire.